Publié le 21/05/2025
Expérience
- Doctorant en droit privé à l'Université Paris-Cité
- Chargé d'enseignement en droit privé
- Juriste
- Écrivain
Alec SZCZUDLAK : Qu’est-ce qui vous a motivé à enseigner au sein du Master Juriste d’Entreprise ?
Yohanne KESSA : Enseigner, ce n’est pas seulement exposer sa science devant un micro et un parterre d’étudiants. C’est aussi, à mon sens, tenter d’accompagner et de former ceux qui deviendront des collègues, avec intégrité, humilité, respect et bienveillance. La posture de l’enseignant s’accompagne donc d’une dimension profondément humaine qui va au-delà de la simple pédagogie : avec le droit, on transmet également des questionnements, des idéaux, des compétences, des expériences de vie à des personnes qui elles-mêmes nous transmettent des choses qui transcendent la simple relation enseignant/étudiant. C’est une lourde responsabilité et un apprentissage permanent que j’avais l’intime conviction d’avoir en partage avec mes étudiants, en général, et ceux du Master Juriste d’Entreprise, en particulier. Ce Master est tout à fait enrichissant, tant sur le plan des réseaux mobilisés par le Professeur Yannick Pagnerre et ses collègues pour les étudiants, que sur les matières qui y sont enseignées. Les étudiants de ce Master n’étant pas très nombreux par promotion, une vingtaine en général, il y a, chaque année, une ambiance d’un groupe de « colonie de vacances », car ils font presque tout ensemble et sont investis dans leurs projets.
Alec SZCZUDLAK : Comment percevez-vous l’évolution des étudiants au cours de l’année dans votre matière ? Qu’est-ce qui vous satisfait le plus en tant qu’enseignant ?
Yohanne KESSA : A vrai dire, je n’ai enseigné ma matière, le droit des entreprises en difficulté, qu’au second semestre, au lieu de l’année entière. A cet égard, je ne peux évoquer l’évolution de mes étudiants que sur un semestre. Aussi, j’ai été très satisfait de voir à quel point beaucoup d’entre eux ont cette capacité à se remettre en question devant l’échec, notamment un échec lié à la méthodologie juridique qui demeure encore en maîtrise, une réelle difficulté pour les étudiants, les chargés d’enseignement en droit ayant parfois chacun une approche différente de la méthodologie juridique.
Alec SZCZUDLAK : Quel type d’échanges ou d’interactions avec vos étudiants vous semble le plus enrichissant dans votre rôle de chargé de TD ?
Yohanne KESSA : Le risque de conflit d'intérêts étant présent, comme dans toute profession, je reste toujours impartial et professionnel, en dépit de la sympathie et de la bienveillance qu’un enseignant peut éprouver envers ses étudiants. C’est pourquoi, favoriser l’intérêt personnel d’un(e) étudiant(e) ou le sien dans les échanges ou les interactions, c’est franchir la barrière et trahir l’intégrité attendue de l’enseignant, ce me semble.
Le premier conseil serait de travailler, encore et toujours, même lorsque les premiers fruits de leurs efforts ne sont pas mûrs.
Alec SZCZUDLAK : Quelles sont, selon vous, les qualités principales qu’un étudiant du Master Juriste d’Entreprise doit développer pour réussir dans le domaine du droit des entreprises en difficulté ?
Yohanne KESSA : Persévérance, travail, rigueur, curiosité et esprit de synthèse sont pour moi les qualités principales qu’un étudiant du Master Juriste d’Entreprise doit développer. En effet, le juriste en général, et le général d’entreprise en particulier, ne peut certes pas connaitre tous les textes de loi, ni la jurisprudence ou la doctrine, mais il lui faut savoir où trouver les textes qui lui permettront de résoudre telle ou telle difficulté, puisqu’il est avant tout un spécialiste du droit. C'est pourquoi, un étudiant du Master Juriste d’Entreprise doit posséder de solides connaissances juridiques généralistes et en priorité en droit : particulièrement en droit des affaires, en droit des sociétés, en droit social, en droit fiscal, mais aussi en droit commun des obligations, en droit des entreprises en difficulté, et en droit des sûretés.
Outre une mémoire infaillible pour retenir un maximum de renseignements, il/elle doit savoir identifier les éléments pertinents dans une masse d'informations, puis les expliquer de manière claire et concise.
La recherche d'informations jouera par ailleurs un rôle important dans le travail quotidien d'un ou d'une juriste d’entreprise en devenir. Il/elle aura besoin de compétences en la matière sur des questions complexes ou sur la rédaction de documents. C’est pourquoi, je dis souvent à mes étudiants de ne pas hésiter plus tard à prendre conseil auprès de leurs relations professionnelles, elles seront peut-être déjà familières de situations similaires.
Enfin, soyez bon en anglais, c’est important, puisque c’est la langue du monde des affaires.
Alec SZCZUDLAK : Qu’est-ce qui vous surprend le plus dans les questions ou les réflexions que vos étudiants soulèvent en cours ?
Yohanne KESSA : Il n’y a pas de questions idiotes. Ayant toujours été curieux depuis mon enfance, j’invite toujours mes étudiants à poser des questions et à émettre leurs idées sur tel ou tel cas, fussent-elles pour eux idiotes, au premier abord. Et souvent, ils se rendent compte que leurs questions ou leurs idées et réflexions sont aussi celles de leurs collègues, d’autant plus que le droit des entreprises en difficulté n’est pas une matière si aisée à appréhender.
Alec SZCZUDLAK : Quel conseil donneriez-vous aux étudiants pour qu’ils tirent le meilleur parti de votre enseignement et du Master en général ?
Yohanne KESSA : En vérité, si j’avais des conseils à donner aux étudiants, j’en donnerais deux. Le premier conseil serait de travailler, encore et toujours, même lorsque les premiers fruits de leurs efforts ne sont pas mûrs. Car certains ne le savent peut-être pas, ou méconnaissent la valeur de leurs efforts, mais les plus belles réussites sont généralement celles des personnes qui n’ont jamais abandonné. Le second conseil est de croire en leurs rêves et en leurs ambitions. Viser la Lune ne fait peur qu’à celles et ceux qui ne sont pas suffisamment fous. Or, ce sont celles et ceux qui sont suffisamment fous pour viser la Lune qui vont dans l’Espace, qui regardent les étoiles ou qui deviennent des personnes dont on se souvienne. Alors, travaillez, croyez en vos rêves et en vos ambitions, tout en mettant un peu de folie dans vos idéaux. Mais de la bonne folie, celle des gens qui façonnent le monde et qui le font avancer.
Le second conseil est de croire en leurs rêves et en leurs ambitions. Viser la Lune ne fait peur qu’à celles et ceux qui ne sont pas suffisamment fous.
Alec SZCZUDLAK : Comment voyez-vous le rôle du chargé de TD dans la réussite professionnelle des étudiants après leur diplôme ?
Yohanne KESSA : Je pense que le bon enseignant n’est pas seulement celui qui doit transmettre un savoir. Ce doit également être une personne qui éveille des curiosités vers toute chose, pas simplement la curiosité de savoir, mais également la curiosité d’être et d’avoir. La connaissance du droit pour une personne suivant un cursus universitaire en Droit est une bonne chose. Mais la seule connaissance du droit ne suffit pas pour être un excellent juriste. Cette connaissance doit être complétée par celles d’autres disciplines, telles que l’Histoire, l’Economie, la Sociologie, la Littérature, etc. Sur ce point, le Doyen Carbonnier avait promu la sociologie juridique comme approche complémentaire et utile à la compréhension du droit positif, déclarant : « A un moment, le sociologue doit prendre la place du juriste pour épuiser la réalité juridique », ou bien encore qu’il importe que la sociologie pénètre le droit. Avant lui, dans l’introduction de son ouvrage Aspects juridiques du capitalisme moderne (2ème édition, éd. R. Pichon & R. Durand-Auzias, LGDJ, Paris, 1951, p.4), Georges Ripert voyait déjà d’un très mauvais œil le divorce annoncé de l’enseignement du droit et de l’économie dans les universités. Ainsi, commentant la volonté de certains économistes de quitter les facultés de droit et de libérer leurs étudiants de la contrainte d’avoir à étudier le droit, il écrivait que, d’un côté, « les juristes ne sauraient appliquer, ni interpréter les règles de droit s’ils ne connaissent pas l’économie » et que, de l’autre côté, les économistes « ne saurai[ent] analyser l’activité productrice des hommes [sans savoir] quelles sont les institutions [juridiques] par lesquelles elle s’exercice ». Idem, pour Julien Bonnecase, enseignant de Jean Carbonnier, qui fut un brillant historien de la science juridique, avec des œuvres et une pensée qui a dépassé la simple sphère du droit.
Alec SZCZUDLAK : En dehors de la matière elle-même, qu’espérez-vous transmettre à vos étudiants durant vos cours ?
Yohanne KESSA : L’amour du droit en général. Car le droit est véritablement une belle science, bien que je ne m’y sois consacré de manière très sérieuse qu’assez tardivement.
Alec SZCZUDLAK : En tant qu’enseignant, qu’est-ce qui vous inspire dans votre propre parcours académique ou professionnel ?
Yohanne KESSA : Il est assez difficile de déclarer être soi-même, sa propre inspiration. Si on le fait, les uns diront de nous que l’on est prétentieux ou arrogant, ou les deux à la fois ; si on ne le fait pas, alors que l’on est dans une position légitime d’évoquer notre parcours de vie, les autres y verront de la fausse pudeur, une humilité feinte. Alors, pour ma part, je n’évoque jamais véritablement mon parcours académique ou professionnel. D’abord, parce que je n’étais pas un étudiant brillant, mais plutôt un étudiant très dilettant. Je consacrais davantage de temps à emprunter et à lire les classiques gréco-romains, la philosophie et l’économie au deuxième étage de la bibliothèque universitaire d’Evry qu’à lire Portalis, René Demogue, François Gény, Georges Ripert, Jean Carbonnier ou autres grands noms de la doctrine juridique. Ce n’est qu’en reprenant mes études de droit en 2017, après avoir discuté avec Robert Badinter le 30 septembre 2016 que je suis progressivement devenu un juriste qui se consacre un peu plus à l’histoire des exégètes, et de la doctrine contemporaine.
Mon parcours n’est donc jamais celui que je donne en exemple à mes étudiants. Car le dilettantisme n’est pas pour moi la voie qui mène au succès.
Alec SZCZUDLAK : Comment avez-vous développé votre propre intérêt pour le droit des entreprises en difficulté ? Était-ce une vocation initiale ou un choix progressif ?
Yohanne KESSA : Mon parcours universitaire ayant été jalonné de nombreuses réflexions sur la branche du droit que je souhaitais suivre, je n’ai jeté mon dévolu sur le droit des entreprises en difficultés qu’en Maîtrise. Le Professeur Dimitri Houtcieff, actuellement Doyen de la faculté d’Evry-Paris-Saclay, fut le premier universitaire à me faire aimer la matière. Il avait une façon tout à fait particulière et attrayante de l’enseigner. Le Professeur Philippe Roussel Galle, fut le second universitaire à éveiller mon intérêt pour cette matière, en Master. À partir de ce moment, je me suis fixée comme objectif d’être à la fois praticien et chercheur. C’est pourquoi, j’eus la conviction que s’eût été regrettable que je n’étudie pas davantage cette matière pour en faire une des voies à prendre pour mon parcours professionnel et personnel. Et surtout, j’avais à faire un choix pour poursuivre vers la promesse faite à Robert Badinter de reprendre mes études de droit, et d’aller jusqu’au bout, peu importe les difficultés.
Alec SZCZUDLAK : En dehors de votre métier, avez-vous des passions ou des activités qui vous permettent de vous ressourcer et d’équilibrer votre vie professionnelle ?
Yohanne KESSA : Mes passions en dehors du Droit ? Le Théâtre, l’Opéra, la Littérature, l’Ecriture, l’Economie, et le Sport sont les passions qui m’aident actuellement à sortir un peu mon esprit du Droit.
La posture de l’enseignant s’accompagne donc d’une dimension profondément humaine qui va au-delà de la simple pédagogie (…).
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